Lutter contre toutes les formes du racisme et de discrimination en combattant les idéaux de l’extrême droite française et le fondamentalisme islamique qui gangrènent notre société

Share

Article paru dans le N°277- Octobre 2020
de Nouvelles d’Arménie Magazine (NAM)
dans le dossier « Les nouveaux visages de la fachosphère turque »

Pour le démocrate français d’origine turque, deux combats doivent être menés en France auprès et avec les originaires de Turquie pour éviter que les jeunes deviennent des pions au service de l’AKP : Lutter contre toutes les formes du racisme et du discrimination en combattant les idéaux de l’extrême droite française et lutter contre le fondamentalisme islamique :qui gangrène notre société

Nouvelles d’Arménie Magazine : Qu’est-ce que l’ACORT (assemblée citoyenne des originaires de Turquie), dont vous êtes le coordinateur général ?

Umit Metin :  Nous sommes représentatifs de la mouvance de gauche laïque. L’ACORT est porteuse donc des valeurs de laïcité, d’égalité, de justice, de liberté, de fraternité, de respect des droits humains et égalité homme-femme en France comme en Turquie. Elle a été créée en 1980 suite à une grève de la faim des travailleurs de la Confection, par des ouvriers sans-papiers et par des militants fuyant le coup d’Etat en Turquie du 12 septembre 1980. Depuis, elle s’est investie dans les luttes de l’immigration avec les autres associations d’immigration et de solidarité.

NAM : Quels sont les nouveaux défis à relever pour la diaspora turque ?

U. M. :  On est parti intégrante de cette société, avec de nouvelles générations qui apparaissent. Mais on vit dans une époque où la précarité sociale, le rejet, la discrimination par rapport aux descendants d’immigrées continuent à faire en sorte que ces les jeunes disent : « Quoique je fasse, je ne serai jamais accepté en tant que citoyen à part entière ». De part cette exclusion, en terme de réaction, se forme un discours islamo-nationaliste, qui permet à ces jeunes de se créer leur personnalité. Le racisme et plus particulièrement l’islamophobie sert ainsi objectivement les réactionnaires de tous bords.  L’AKP a un boulevard du coup pour surfer sur cette violences systémique.

NAM : Est-ce que le raid lancé par un groupe de nationalistes se réclamant des Loups gris le 24 juillet contre un rassemblement arménien est le reflet de cette jeunesse : est-ce, selon vous, un acte isolé, ou au contraire l’expression d’un phénomène plus profond au sein de la communauté ?

U. M. : Quand des groupes ultra-nationalistes lancent des raides ici, ils sont dans la continuité de leur discours politique en Turquie et même plus, ils sont soutenus pas un gouvernement qui a décidé d’exacerber le nationalisme à partir de ce sujet.

Par ailleurs, la France sous-traite les besoins d’une partie de sa  population, pour des raisons politiques et économiques aux pays d’origine. On laisse la gestion des mosquées et l’apprentissage de la langue du pays d’origine à des fonctionnaires turcs qui sont des agents de contrôle de l’AKP sur la communauté turque en France. L’Allemagne a fait des procès contre ses imams, en disant qu’ils jouaient un rôle de délation. En Suisse, pareil. La France est le seul pays dans lequel on peut dire que l’AKP fait ce qu’il veut : il agit sous le silence du gouvernement français, voire presque même sous « sa bienveillance. »

NAM : A quoi cela est-il dû ?

U. M. : En partie pour des raisons de commerces internationales mais surtout pour sauvegarder  l’accord sur l’immigration entre la Turquie et l’Union européenne de 2016 concernant le contrôle frontière les « flux migratoires ».

Même si Macron fait des sorties dans les médias, dans le concret, rien n’a changé : les imams sont toujours des fonctionnaires de Turquie, et des association liées au DITIB (union qui représente le ministère de la culte turc) sont membres du Conseil français du culte musulman (CFCM ). Dans le cadre  de l’Enseignement de langue et de culture du d’origine (ELCO),  on continue à accueillir des professeurs du régime dans les écoles de la République.

L’Etat turc, depuis 2016 en prétextant la tentative de coup d’état de juillet, utilise, d’un côté,  ses moyens pour contrôler et faire pression sur tout opposant en créant une atmosphère de délation et d’intimidation. Par exemple, lors de l’invasion du  Rojava en 2018, plus de 350 associations françaises d’originaires de Turquie ont pris position pour soutenir l’intervention du gouvernement turc. Mais aussi les personnes font attention à ce qu’ils postent sur les réseaux sociaux, sous peine de problème pour eux ou leurs proches. C’est une réalité, c’est avec ça qu’on vit depuis 2013 (évènements de Gezi) avec une plus grande ampleur depuis 2016.

 Et de l’autre côté, il s’appuie sur ses associations satellites qui adaptent leur stratégie selon le contexte. Après, la création du  Parti Egalité et Justice (PEJ) aujourd’hui, leur stratégie est l’entrisme politique, en essayant de s’organiser, auprès des partis, voire à l’intérieur d’eux. On peut donc se retrouver avec des gens de l’AKP ou des Loups gris partenaires d’un certain nombre de projet locaux parce qu’ils tiennent un discours associatif . Concrètement, ils sont à la recherche d’une légitimité au sein de la société civile et politique française

NAM : Cette attaque de Décines répond donc, selon vous, à une commande des autorités turques ?

U. M. : Peut-être, car on est passé dans une autre phase inquiétante. Ce qui se passe en France est le reflet de l’aggravation de la situation en Turquie. Par exemple, avant, la Fondation Hrant Dink était préservée. Depuis un an, les choses changent : l’Etat a commencé à interdire un certain nombre de leurs activités, des menaces visent Raquel Dink…

NAM : Dans une vidéo, Ahmet Cetin, l’organisateur du raid de Décines, a déclaré en substance : « Que le gouvernement me donne 2000 € et une arme, et je ferai le travail partout en France ». Faut-il prendre au sérieux ce type de déclaration ?

U. M. : Sans parler de rétribution financière ou de commande, il est claire que l’atmosphère politique créé par l’AKP peut permettre des passages à  l’acte d’individu ou des groupes d’individus ultranationalistes non contrôlé directement. Erdogan veut garder à tout prix le pouvoir grâce à l’alliance avec les ultras nationalistes et il a pour objectif d’utiliser comme pions les immigrés originaires de Turquie. Il a très bien compris la situation en demandant aux uns et aux autres de prendre la nationalité du pays où l’on vivait et de rentrer dans les partis politiques. Et je ne pense pas que leur perception va rapidement changer car nous entrons dans une période difficile.

NAM : Donc vous n’êtes pas très optimiste…

U. M. : Si la situation en Turquie dégénère, elle dégénèrera forcément ici aussi…

On a vu qu’il y a eu des affrontements en Belgique contre des manifestants kurdes mais vont-ils prendre le risque d’attirer l’attention en organisant ce type d’attaque, de provocation ? Car vis à vis de l’opinion publique et des autorités françaises, ils font profil bas et se disent

« Moins on parle de nous, mieux on se porte et on peut continuer discrètement nos activités » 

NAM : Vous-même, vous avez été la cible d’Ahmet Cetin en novembre dernier…

U. M. : Oui, sur Twitter, à l’occasion de la manifestation contre l’islamophobie à laquelle ces associations n’ont pas participé. On m’a attaqué en disant : « Umit Metin, qu’est-ce qu’il fait là-bas ? C’est un pro-PKK, un traître, etc ». Dans le passé des attaques similaires ont été fait par le Cojep vis-à-vis des camarades de Strasbourg.

NAM : Les structures nationalistes comme le COJEP, Red action ou turquienews.com ont-elles une vraie influence sur la communauté ?

U. M. : Oui  et surtout auprès des jeunes, qui se sentent discriminés. La montée de l’extrême droite dans toute l’Europe renforce le sentiment de rejet et d’exclusion de ces jeunes qui réagissent en s’affirmant en tant que Turc et vivant toute critique d’Erdogan comme une attaque identitaire.

NAM : Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour éviter cette radicalisation ?

U. M. :  Il est de notre responsabilité d’investir le terrain de la lutte contre toutes les formes de discriminations pour ne pas laisser la place à des organisations réactionnaires qui utilisent l’indignation ou la colère des jeunes. Il est important d’œuvrer au sein des originaires de Turquie, sur des valeurs communes  et universelles portées par la société civile française dans sa diversité ainsi que le mouvement des luttes des classes sociales et populaires. Mais on ne peut pas dire que le contexte politique français facilite… Au contraire, les associations démocratiques et laïques rencontrent des difficultés pour être financées, sont dénoncées par la droite comme association communautariste… Il y a une épée de Damoclès qui est en train de se mettre en place concernant l’avenir et la liberté d’expression de ces associations qui se revendiquent laïques et démocratiques comme L’ACORT. Il ne faut pas oublier  que les associations fondamentalistes dont les associations turques pro-AKP, Gülenistes et les nationalistes Loups gris n’ont nullement besoin de financement de l’État français pour occuper le terrain.

NAM : La thématique de la reconnaissance du génocide arménien avance-t-elle au sein des associations turques en France ?

U. M. : L’ACORT a pris contact en 2001 avec les Arméniens en disant : « Nous sommes pour une reconnaissance du génocide mais, tout ce que vous faites peut être un handicap pour les démocrates qui luttent en Turquie ». Du côté de la diaspora arménienne, il y a le besoin, totalement légitime, de faire reconnaître le génocide mais il existe aussi des acteurs de gauche qui font un travail pour changer les choses de l’intérieur. L’idée était de dire : plus que les lois, on a besoin d’une prise de conscience et d’une ré-appropriation de la page sombre de notre histoire. C’est une nécessité de ne pas imposer mais faire prendre conscience de la réalité aux turcs qui ont été formatés depuis leur naissance par un mensonge d’Etat.

Ainsi, dès 2001, on a commencé à créer des espaces de dialogues au sein de l’ACORT. L’assassinat de Dink  en 2007 a accéléré la prise de conscience au sein de la société turque et cela a marqué une génération. Depuis cette date nous organisons en France, la commémoration de Dink qui réunit les Arméniens et Turcs, pour créer non plus des lieux de dialogue mais d’actions collectives.

NAM : Telles que…

U. M. : En 2015, à l’initiative du Collectif du Rêve Commun,  une quinzaine d’associations kurdes, alévies, de gauche turque ont fait une première commémoration du génocide,  ensemble à la statue de Komitas. Cette reconnaissance est une nécessité pour qu’existe une vraie démocratie en Turquie. Car on sait que cette politique de génocide est toujours au pouvoir et qu’elle s’applique autrement, vis-à-vis des minorités non-sunnites et plus particulièrement contre les kurdes et les alévis. J’espère que cela a permis à nos amis arméniens, de découvrir la lutte des démocrates de Turquie.

NAM : Avez-vous un message à adresser en particulier aux arméniens ?

U. M. : En Turquie, avec les Arméniens, nous avons une histoire et une culture commune, et la volonté que ce territoire devienne une réelle démocratie.

En France, il faut mener un combat pour que les gens puissent vivre sans discriminations. Par rapport aux jeunes, nous devons transmettre une autre histoire et travailler à une mémoire commune autour du génocide en parlant des massacres perpétués et aussi des Justes Turcs, sur qui ces jeunes peuvent prendre l’exemple et s’identifier. Il y a peut-être là un travail à faire avec l’Education nationale. Il ne faudrait pas que les cours sur le génocide arménien soient un vecteur de rejet pour les jeunes, mais au contraire leur donne l’occasion de construire quelque chose ensemble.

Et enfin, nous sommes des citoyens de France, ce pays nous appartient à tous. Il ne faut pas qu’il soit gangréné par le nationalisme, quel qu’il soit. Il faut amener les uns et les autres sur l’idée que, pour vivre mieux, pour nos enfants, il faut créer des conditions pour une société égalitaire qui reconnaît sa diversité. Démocrates de Turquie et démocrates arméniens nous allons réussir ensemble.