«Ce mémorial ne fait que nourrir la haine entre les deux camps»

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«Ce mémorial ne fait que nourrir la haine entre les deux camps»
FLORENCE FABRER ET AMARIA TLEMSANI
Libération du  22 AVRIL 2006

La question du génocide reste taboue parmi les Turcs vivant en France.

Les Arméniens font bloc : «Le dialogue n’existe pas avec la communauté turque, si on s’est retrouvés en France, c’est bien qu’on s’est sauvés d’un génocide.» En face d’eux, la communauté turque, disparate, reste figée sur sa doctrine. Le scepticisme est de rigueur, le mot génocide est encore un tabou : «Officiellement, les archives sont ouvertes en Turquie. Mais est-ce qu’on peut vraiment faire confiance aux Arméniens quand ils avancent de tels chiffres ?» s’interroge ce militant pour l’entrée de la Turquie dans l’Europe, un Français qui a épousé une Turque.

Umit Metin, porte-parole du Rassemblement des associations citoyennes des originaires de Turquie, association d’entraide non politique, est plus nuancé. Il pense qu’il faut «organiser des espaces de retrouvailles entre Turcs et Arméniens pour que chaque camp comprenne les souffrances de l’autre». Mais trouve la construction de mémoriaux «prématurée» : «Ça ne fait que nourrir les extrêmes.» A l’inverse, Hilda, militante humanitaire d’origine arménienne, dit que ce mémorial «devrait être un lieu où les Turcs s’agenouillent, comme a su le faire Willy Brandt en Allemagne devant les camps de concentration».

«Représailles». Aykun, 22 ans, Arménien de Turquie, étudiant en France, ne se rendra pas aux commémorations de lundi : «Ce genre de manifestation est souvent filmé par la police et les médias. Les cassettes pourraient être envoyées en Turquie. Je risque des représailles à mon retour, et même la prison. Ma famille à Istanbul risque aussi des ennuis.» Un étudiant turc, membre d’une association culturelle où cohabitent Turcs et Arméniens, refuse lui aussi de donner son nom. Il s’agace : «J’en ai marre qu’on ne s’adresse à nous que pour nous parler du génocide arménien. Ça fait quatre-vingt-dix ans que ça s’est passé. En parler ne fait qu’attiser la haine entre les deux camps. Ça ne nous intéresse pas, on laisse ça aux historiens. Nous, on n’a pas de souci avec ça.»

Les associations restent dans leur camp. Le président d’A ta Turquie, Murad Erpuyan, trouve dangereux de construire des mémoriaux : «Cela ne fait pas avancer le débat, surtout pour les jeunes générations issues de l’immigration, qui risquent au contraire de glisser vers l’extrémisme.» Il pense «qu’il faut tout de suite arrêter l’approche bourreaux-victimes, qui provoque un sentiment de frustration et des réactions défensives de la population turque». A l’inverse, Armen Serpoyan, porte-parole de la FRA Nor Seround (nouvelle génération d’Arméniens), dit ceci : «Mémoriaux et manifestations sont importants pour notre communauté . Ils permettent de commémorer nos morts et de montrer que nous n’avons pas oublié _ et que nous n’oublierons pas tant que la Turquie n’entame pas un processus de repentir.»

FABRER FlorenceTLEMSANI Amaria

http://www.liberation.fr/evenement/2006/04/22/ce-memorial-ne-fait-que-nourrir-la-haine-entre-les-deux-camps_37049