A Paris, les Turcs de France manifestent leur solidarité

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A Paris, les Turcs de France manifestent leur solidarité
Par Antoine Védeilhé,
L’Express publié le 05/06/2013 

Plusieurs centaines de personnes ont exprimé mardi soir à Paris leur soutien aux manifestants turcs hostiles au premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui affrontent depuis six jours les forces de l’ordre dans plusieurs grandes villes du pays. Reportage, des préparatifs à la manifestation.

Mardi 4 juin. A deux pas des Halles, au coeur de Paris, une dizaine de jeunes femmes d’origine turque, pinceaux à la main, inscrivent des slogans sur des pancartes en carton. Agées entre 20 et 25 ans, elles se sont réunies, via Facebook, dans les locaux flambants neufs de l’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (ACORT). Pour soutenir leurs amis et leurs familles restés au pays.

Là-bas, des milliers de manifestants ont envahi, depuis vendredi 31 mai, les rues des grandes villes du pays. Parti d’Istanbul, le mouvement, hostile au premier ministre Recep Tayyip Erdogan et au régime islamo-conservateur de l’AKP, a été durement réprimé par les forces de l’ordre, faisant deux morts et plus de 1500 blessés.

Un millier de manifestants
A Paris, les Turcs de France, décidés à exprimer leur soutien, s’étaient donné rendez-vous mardi Place des Innocents, au coeur du quartier des Halles. Pour préparer l’événement, Basak, étudiante en Droit, a suivi une amie jusqu’au bureau où l’ACORT s’est installée en février dernier. « C’est la première fois que je viens ici, témoigne la jeune fille de 22 ans. Je me devais de participer, même à distance. Cela me pèse de ne pas être avec les miens, en Turquie, à respirer l’atmosphère nauséabonde de Tayyip le chimique. » Allusion aux gaz lacrymogènes utilisés en grand nombre par les policiers turcs.

Je me sens coupable de ne pas être au milieu de mon peuple alors je serai en première ligne ce soir. Mon frère qui est en Irlande manifeste lui aussi

Sur la table d’à côté, Selim, une comédienne originaire de Bursa (au sud d’Istanbul) termine la pancarte qu’elle brandira plus tard dans la soirée: « Résistanbul », indique le message. « Je me sens coupable de ne pas être au milieu de mon peuple alors je serai en première ligne ce soir, commente t-elle. Mon frère qui est en Irlande manifeste lui aussi. »

Umit Metin, le coordonnateur d’ACORT, porte un regard attentif au travail des bénévoles. Entre deux parts de pizza grignotées sur un coin de table au milieu des cartons et des pots de peintures, il livre ses dernières consignes pour la manifestation: « Je veux que vous veilliez toutes à ce qu’il n’y ai pas de récupération politique de la part de certains partis qui seront présents. Ce soir, nous serons tous des citoyens de Turquie, peu importe nos origines ».

Umit Metin sait de quoi il parle. Agé de 46 ans, Kurde et Alévi, il observe à distance la répression que subissent ces minorités turques. Si une trêve a été observée depuis quelques mois entre l’AKP au pouvoir et les Kurdes du PKK, les Alévis – des musulmans libéraux, qui représentent entre 15% et 20% de la population – semblent être les nouvelles victimes du courroux du Premier ministre.

Celui-ci, ex-maire d’Istanbul, favorise plusieurs projets de construction pharaoniques qui redessinent la cité à grands coups de bulldozers, et a prévu de baptiser le nouveau pont en construction au-dessus du Bosphore du nom du sultan qui massacra quelque 40000 Alévis au XVIe siècle.

C’est une provocation de plus de la part de celui qui est désormais surnommé « le Sultan »
Pour Umit Metin, c’est une provocation de plus de la part de celui qui est désormais surnommé « le Sultan » dans son pays: « Après avoir usé d’une violence physique contre les Kurdes, Erdogan utilise désormais l’arme de la violence morale. Il fait injure au peuple alévi ».

« La presse turque est muselée »
Sitôt les premiers débordements des forces de police turque, Serra, étudiante à l’université de Nanterre, s’est empressée de livrer aux Français des témoignages sur la situation de son pays: « La presse turque est muselée, explique-t-elle. Les informations qui ne sont pas filtrées par le régime nous parviennent via Facebook et Twitter ». Avec deux amis, la jeune femme a créé un site Internet, resistanbuleu.tumblr.com, qui traduit en français, mais aussi en anglais et en italien les messages qui leur parviennent de Turquie.

Vers 19h, Serra, Basak et Selim rejoignent près d’un millier de manifestants, sur la place de la Fontaine des Innocents. « Mes amis ont été victimes de la charge des policiers à Istanbul. Ils ont été gazéifiés, s’emporte Elif, arrivée en France il y a cinq ans. Je leur montre que même à des milliers de kilomètres, je suis avec eux ». A 29 ans, elle est venue dénoncer un gouvernement « qui ne consulte plus le peuple sur rien » et qui « attise le feu par des provocations incessantes ».

Au milieu des associations de défense des droits de l’Homme et des nombreux mouvements politiques, Alican Tayla porte un regard averti sur la situation actuelle. Chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques spécialiste de la Turquie et des problématiques identitaires, il met en garde contre un quelconque « Printemps Turc », selon la formule employée par certains médias: « La contestation s’inscrit plutôt dans la logique des indignés, commente le chercheur. Il n’y a pas de revendication de chute du régime. Personne ne s’attend à ce que Erdogan quitte le pouvoir. »

 » Ils ont envie que ça change  »
Si la population d’origine turque était très largement majoritaire mardi à Paris, certains n’avaient pas la Turquie dans le sang mais tenaient à manifester leur soutien. Nicolas, ingénieur à Paris, a passé un an d’étude en Turquie. Il est venu pour témoigner son attachement à un pays où il a gardé de nombreuses relations: « Quand j’étais à Istanbul, mes amis avaient voté pour Erdogan. Mais aujourd’hui, ils sont tous dans la rue. Ils ont envie que ça change, mais ne savent pas où aller ».

Alors que le jour tombe, la manifestation commence à s’essouffler. Et Umit Metin dresse un premier constat avec le sourire: « Ce n’était pas gagné d’avance mais nous avons réussi à rassembler dans le calme des gens de tous horizons. Les Turcs de la diaspora ne sont toujours pas unis mais, au moins, nous étions côte à côte. »

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/a-paris-les-turcs-de-france-manifestent-leur-solidarite_1254809.html