« Le carré turco-kurde »

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Le carré turco-kurde. Ouverture. Longtemps repliées, les deux communautés goûtent à la vie de quartier. Paris 10e
Le Point –  le 26/05/2011  Par CHRISTINE RIGOLLET

Le 30 avril, la rue de Metz résonnait des musiques et des danses de « La p’tite Istanbul en fête ». Une des manifestations qu’organise, autour de Strasbourg-Saint-Denis, la communauté originaire de Turquie. Forte de 70 000 membres en Ile-de-France, c’est dans le 10e arrondissement qu’elle tient ses restaurants, que sont implantées ses associations, qu’elle milite ou fait la fête. Car c’est là que, dans les années 60, elle s’était installée pour travailler dans les ateliers du Sentier. En 1980, l’instauration de la dictature a entraîné une immigration plus politique.

Les Kurdes, eux, sont à 80 % des réfugiés victimes de la guerre entre le gouvernement turc et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). « Des hommes et des femmes très politisés qui affichent le portrait de leur leader emprisonné, Abdullah Ocalan, dans les vitrines des librairies du quartier et célèbrent leurs « martyrs » morts à la guérilla », raconte Sandrine Alexie, bibliothécaire à l’Institut kurde de Paris.

A bien des égards, le mode de vie des deux peuples est identique. Ils sont majoritairement musulmans, parfois alévis, mais aussi chrétiens. D’abord employés dans la confection, les immigrés de Turquie occupent aujourd’hui des emplois dans le bâtiment et la restauration. La famille de Selin, 21 ans, est arrivée en France en 1984, à la suite du coup d’Etat. Son père, décédé depuis, leader de la gauche, avait obtenu le statut de réfugié politique. Après avoir tenu un café, sa mère a ouvert un restaurant rue du Faubourg-Saint-Denis où elle sert des lahmacun (pizzas fines à la viande hachée) et des dürüm(sandwichs) au poulet ou à l’agneau. Son frère et elle ont la double nationalité. Chez eux, ils parlent turc, boivent rituellement le soir un thé rouge, et ne manquent pour rien au monde, sur la chaîne Kanal D, « les mêmes séries que regarde ma grand-mère restée au pays « .

Mariages où l’on danse le halay et vie associative intense rythment les loisirs de cette communauté. Boulevard de Magenta, l’Acort (Assemblée citoyenne des originaires de Turquie), née en 1980 de la lutte des sans-papiers, propose animation théâtrale, groupes de femmes, conférences et cours de français pour favoriser l’intégration. Même si, constate et déplore Umit Metin, coordinateur de l’Acort, « le refus d’admettre la Turquie dans l’Union européenne a provoqué un repli identitaire parmi les jeunes « . L’association s’emploie aussi à lutter contre le sexisme et l’archaïsme de certains comportements. »Trop de jeunes issus de l’immigration turque continuent à faire l’objet de mariages arrangés au pays « , déplore Umit Metin.

Solidarité. Les Kurdes forment une société très communautaire. Mehmet Ulker est le président de la Fédération des associations kurdes de France. »Ils viennent rue d’Enghien, au centre Ahmet-Kaya, regarder ensemble la télévision, échanger des nouvelles du pays, participer à une journée de solidarité avec les prisonniers politiques. Ou apprendre des danses folkloriques.  » Pour un concert de Sivan Perwer, un de leurs chanteurs les plus populaires, les Kurdes du 10e peuvent se rendre, par car, dans n’importe quel pays d’Europe. « Mais notre fête la plus importante, souligne Mehmet Ulker, c’est Newroz, le Nouvel An et le symbole de la victoire de la liberté sur la tyrannie.  » Pour le célébrer, le 21 mars, à la mairie et dans les rues du 10e, les Kurdes ont dansé et allumé des bougies.

Aujourd’hui, la troisième génération arrive à l’âge adulte. Des jeunes qui, à l’image de Selin, fréquentent autant d’amis français que turcs, poursuivent des études de droit ou de médecine et, comme s’en félicite Umit Metin, « participent de plus en plus à la vie du 10e arrondissement « ;

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