De nouveaux sans-papier en grève de la faim.

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De nouveaux sans-papier en grève de la faim.
Vingt-neuf étrangers, recalés du droit d’asile, entament le jeûne.
BÉATRICE BANTMAN  – Libération 19 JUIN 1998

Ils l’ont écrit sur leur T-shirt, sur le bandeau qui ceint leurs cheveux noirs: grève de la faim. Ils en parlaient depuis des semaines, au foyer de Grenelle à Paris, puis au temple de la rue des Pyrénées, qu’ils ont successivement occupés le mois dernier. Depuis lundi, à l’Eglise réformée des Batignolles où ils ont trouvé un nouveau refuge, vingt-neuf étrangers sans papiers, des Turcs et des Chinois recalés de la circulaire Chevènement font la grève de la faim. A leurs côtés, un Français, Emmanuel Terray, anthropologue réputé, jeûne par solidarité. Cette nouvelle grève de la faim, qui survient deux semaines après celle de Lyon contre la double peine, résolue au 51e jour par un compromis avec le ministère de l’Intérieur, troublera-t-elle la sérénité gouvernementale? Car, jusqu’à présent, les divers mouvements de protestation se multiplient dans une quasi-indifférence: Matignon n’a pas daigné recevoir les seize sans-papiers arrivés à pied d’Angoulême, et l’occupation d’une petite dizaine d’églises, en région parisienne et en province, se poursuit, apparemment sans gêner personne.

Douze ans de clandestinité. «Je suis Zhou Yirong, un vieux sans-papiers chinois, entré en France le 26 mai 1986 pour rechercher l’aurore de la démocratie et de la liberté. Je suis en France depuis plus de douze ans, mon épouse depuis neuf ans. Nous avons deux filles majeures en Chine. L’une est morte sur le lit d’opération de stérilisation de force. L’autre est partie avec son époux et nous sommes sans nouvelles depuis plus de dix ans [« ]». L’histoire, écrite par un des grévistes, pourrait être, à quelques variantes près, celle de chacun des grévistes. Zhou Yirong raconte ses douze ans de clandestinité, «4 300 jours tourmentés en France», les dix refus qu’il a essuyés, les recours «sans nouvelle, comme un caillou immergé à la mer». Il dit que sa femme et lui n’ont jamais rien fait de mal, qu’ils ont un petit-fils né en France et demande au gouvernement français: «Qui est régularisé et sur quels critères?» Boulevard des Batignolles, dans la grande salle du temple, 14 Chinois, 14 Turcs et un jeune Algérien ont aligné leurs sacs de couchage, les Chinois à droite, les Turcs en face. Tous répondent, en principe, aux critères de la circulaire Chevènement: ils ont charge de famille ou sont des célibataires en France depuis longtemps. Omar, l’Algérien, est né en France. La plus jeune des grévistes est chinoise et paraît avoir à peine 20 ans. Le plus âgé est français. Emmanuel Terray soutient le Troisième Collectif depuis sa création et, à 63 ans, il «trouve lamentable d’en arriver là».

700 sans-papiers. Constitué juste après Saint-Bernard, lorsque les Chinois ont décidé de sortir de l’ombre, le Troisième Collectif a très vite réuni 160 sans-papiers et plus de trente nationalités différentes. Aujourd’hui, ils sont 700. La grève de la faim qui commence fait suite à d’innombrables rencontres avec les préfectures et à quelques réunions avec les conseillers de Chevènement. A de rares exceptions près, les recours n’ont rien changé: même lettre stéréotypée, même refus. Les 30 grévistes ne demandent donc pas un «troisième tour» dans les préfectures. «Elles ont fait leur travail, le résultat est là. D’ailleurs, Chevènement a dit que leur travail était exemplaire», explique Emmanuel Terray qui propose une mission confiée au médiateur de la République. Pour le moment, Henry Pradeaux, chef de cabinet du Premier ministre, se borne à renvoyer les déçus vers le ministère de l’Intérieur. Quant au pasteur et au conseil presbytéral du temple, ils ont promis qu’ils n’appelleraient pas la police: «Ce serait contraire à notre foi».

BANTMAN Béatrice

http://www.liberation.fr/societe/1998/06/19/de-nouveaux-sans-papier-en-greve-de-la-faim-vingt-neuf-etrangers-recales-du-droit-d-asile-entament-l_239124