«L’Europe finira bien par l’accepter»

Share

«L’Europe finira bien par l’accepter»
CHARLOTTE ROTMAN
Libération du 27 NOVEMBRE 2002

Tôt ou tard, la Turquie fera partie de l’Union européenne. Ils en sont convaincus. Réunis hier soir pour l’inauguration d’un nouveau local de l’association Acort (Assemblée citoyenne des originaires de Turquie, qui regroupe des immigrés de longue date plutôt laïques), dans le Xe arrondissement parisien, les convives d’origine turque sont unanimes. «L’Europe finira bien par l’accepter, car la Turquie peut être un excellent laboratoire pour les Occidentaux et leur apprendre comment s’entendre avec un pays musulman», estime ainsi un avocat, ancien du barreau d’Istanbul, installé en France depuis vingt ans.

La déclaration de Valéry Giscard d’Estaing, pour qui «la capitale de la Turquie n’est pas en Europe» (lire pages 2 et 3), n’a pas vraiment blessé les proches de l’association. Sevinç, 30 ans, regrette juste «les arguments fallacieux» qu’elle a entendus ici et là. Cette Française, dont les deux parents d’origine turque sont également français, dit «on» pour parler de son pays d’origine. «On est déjà dans l’Europe, ne serait-ce qu’au niveau économique, estime-t-elle d’un ton énergique. Et Chypre ? C’est un pays européen ? Et la Russie ?»

Dans l’ensemble, les visiteurs installés autour d’un buffet ­ turc ­ appétissant pensent que l’ancien président de la République a eu le mérite d’énoncer les choses clairement. «Il a eu le courage de dire ce que les hommes politiques occidentaux pensent profondément», reconnaît un participant. C’est-à-dire que le véritable obstacle, c’est la religion. «On n’a pas peur de 300 millions de chrétiens. Pourquoi auraient-ils peur de 70 millions de musulmans ?» plaisante Memet Boduk, président de l’Acort et membre du Conseil des résidents étrangers, installé à Paris par Bertrand Delanoë. «Je suis content que le débat soit posé, dit également Umit Metin, coordinateur de l’Acort. Car la question est celle de la place de l’islam.»

Pour ce militant de gauche, VGE s’adresse moins aux autorités turques qu’aux immigrés qui vivent en Europe. «En refusant l’adhésion de la Turquie, il envoie un message aux immigrés musulmans qui signifie : « Vous n’êtes pas comme les autres, vous n’êtes pas assimilables. »» Amplifié par les attentats du 11 septembre, ce refus sonne d’abord à ses yeux comme un rejet implicite des musulmans en Occident. «La reconnaissance de l’islam en France et en Europe est donc un préalable à l’acceptation de la Turquie en Europe», estime-t-il. Sevinç approuve : «Si la Turquie faisait partie de l’Union européenne, on aurait moins à prouver qu’on est français… on serait européens.»

Ce soir, tout le monde trouve du bon dans la candidature turque. «L’espoir de l’adhésion a été un moyen de rattraper cinquante ans de retard», se félicite Umit, faisant allusion aux récentes réformes. «Cela peut faire avancer les dossiers difficiles, comme celui des Kurdes, véritable gangrène», glisse un représentant de cette communauté, un verre de jus d’orange à la main. Finalement, seul un des convives est hostile à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Mais il l’était aussi pour la France. En 1992, ce jeune homme avait voté contre Maastricht.

ROTMAN Charlotte

http://www.liberation.fr/evenement/2002/11/27/l-europe-finira-bien-par-l-accepter_422848